Blancheneige
Bradel agence, lisse, signe.
Agencement de torsions : (la succession des empoisonnements : Lacets,
Peigne, Poison, Pomme), d'écarts (Mariage en blanc de
Blancheneige), d'errances (Danse de Mort - la mise à mort
de la méchante Reine). Lisser, toujours lisser : la blancheur de
Blancheneige est un leurre, espace amorphe, un fond sans fond. Signes :
Bradel commet des signatures, chiffre l'espace. Blancheneige ou le cycle
infernal = SEPTET CRUEL. Investir l'ordre des séries : Bradel dit
1+2+3+4+5+6+7 !
SEPTET CRUEL
En 1, tout se passe sur
la scène comme si les Grimm étaient toujours à l'affût
d'une bonne blague à raconter. En 2, comme si Apollinaire n'avait
pas dépassé le macabre paradoxe du soleil cou coupé
de Zone. En 3, c'est comme si Artaud faisait toujours le dingue
entre cri/caca/cul et Mômo (ah Mômo, ça aurait pû
être le nom d'un des sept nains, Mômo !). En 4, comme si Stein
poussait la ritournelle à chaque fois que Blancheneige s'ennuyait
à mourir depuis la mort de sa belle-mère. En 5, c'est comme
si Walser etc... En 6, c'est comme si Walt Disney faisait danser sa femme
à poil pour trouver la technique du mouvement qui fait swinguer
Blancheneige dans la cuisine des nains. En 7, comme si les circonvolutions
de Ghérashim Luca avaient un sens. Textes & contextes &
textures.
L'aménagement spectaculaire
Alors d'une mise en scène
qui donne à voir le drame de Blancheneige. Interférer au
point aveugle (Bataille) où les regards des spectateurs participent
du visible. Blancheneige... que du visible : le blanc comme neige... Rayonnement
douloureux.... Bradel prend acte du don de voir. Il ouvre à l'au-dehors
inaccessible du conte. Il manipule les corps, il truque l'espace, il sature
les textes-écrits des bruissements des bouches d'acteurs, il parasite
les émotions, les catharsis individuelles. Son but est de nous clouer
au spectacle. Non pas le spectacle spectaculaire mais le spectacle spectaculum.
L'équivalent du lieu dramatique de cette scène : la pellicule
plate, pleine, informe de la photographie du supplicié chinois qui
hante Bataille.
l'acquis-Debord
De la mise en scène
et de son spectacle. Prendre au sérieux Debord. Thèse 1 :
le spectacle n'est pas un ensemble d'images mais un rapport social entre
des personnes, médiatisé par des images. Thèse
2 (l'anti-) : le langage du spectacle est constitué par des signes
de la production régnante, qui sont en même temps la finalité
dernière de cette production. Synthèse révolutionnaire
: c'est dans le spectacle que passe la domination sociale. Comment, en
tant que metteur en scène, échapper à ce capitalisme
bureaucratique passé maître en manipulation des apparences
et des marchandises ? Comment sauver toute mise en scène de sa mise
en abîme spectaculaire ? En parasitant les signes de la production.
Washing, cleaning...
Ne pas renoncer au spectaculum
, à <ce qui se présente au regard, à l'attention>
(c'est là la nature même du théatre). Prendre parti
non plus pour un spectacle d'images mais pour un spectacle chiffré
d'un bout à l'autre, comme un langage (Artaud). Aussi il n'est
pas question de dépasser le spectaculaire par le spectaculum.
Tout dépassement reste dépendant de ce qu'il dénonce.
L'enjeu est de lisser les doubles monstrueux de la représentation
dominante. Bradel répète la chanson de la ménagère
: Washing, cleaning, cooking, dressing, polishing, scrubbing, sweeping,
hoovering and brushing, chopping, grinding, slicing, peeling, frying, sewing
and knitting... Que le strié de l'appareil d'Etat disparaisse
dans la répétition ! Et le lisse à perte de vue[1]...
Le public : Il
faut d'abord que ce théatre soit.
Le langage du théatre
n'est pas le langage des mots mais le langage de signes lisses. Ni écrit
(l'écriture est une mémoire impersonnelle, qui est celle
de l'administration de la société nous rappelle Debord),
ni parlé (le parlé n'est qu'un moyen de rebondissement,
un relai de l'espace agité dit Artaud), ce langage imite la
flexion des corps. Il rend possible le geste qui couvre les espaces nomades.
Des oeuvres du théatre élisabéthain dépouillées
de leur texte et dont on ne gardera que l'accoutrement d'époque,
les situations, les personnages et l'action suggère Artaud.
Le spectaculum du spectacle théatral s'oppose à l'image
idôlatrée de la domination capitaliste en créant des
simulacres. Ces simulacres sont autant d'émanation de forces physiques
qui font surface.
D'un théatre de
la cruauté
Ce
langage de signe ne part d'aucune parole formée mais de la contrainte[2]
de la parole. Cette contrainte n'est pas une détermination mais
une condition à la mise en scène. Aussi Clément Rosset[3]
a tort. Nul besoin d'avoir recours à l'étymologie deCruauté
comme ce qui désigne la chair écorchée sanglante
: soit la chose elle-même dénuée de ses atours ou accompagnements
ordinaires en l'occurence la peau et réduite ainsi à son
unique réalité aussi saignante qu'indigeste. Nul besoin
non plus de poser un principe de cruauté afin d'ériger
la cruauté en réalisme tragique. La cruauté est l'éthique
non la catégorie d'une morale. La cruauté est volonté,
effort, tension répétée entre moi et le monde. La
cruauté est l'équivalent d'une ascèse. Cette cruauté
qui sera quand il le faut sanglante mais qui ne le sera pas systématiquement
se confond donc avec nous avec la notion d'une sorte d'aride pureté
morale qui ne craint pas de payer la vie le prix qu'il faut la payer
(Artaud). Ce n'est pas la réalité comme être qui est
en jeu dans la cruauté mais la réalité comme rapport
social. Sade rend bien compte de l'immanence du rapport social dans la
philosophie dans le boudoir. Ce qu'il y a de cruel dans cette pièce
de Sade (qu'il ne fit jamais joué peut-être à cause
de cette cruauté), ce n'est pas la violence des scènes érotiques,
ni l'audace des propos des libertins criminels. Ce qui est cruel, c'est
le pamphlet Français, encore un effort, programme révolutionnaire
non pas tant par son message que par son insertion impromptue dans la pièce
de Sade. Geste théatral absolu qui interrompt ici toute production
d'images . Du texte rien que du texte. L'effort à faire,
le langage à expérimenter, la parole devenue audible.
(1) le simulacre dans
le conte de Blancheneige
Du point de vue du <donné
à voir>, du spectaculum, d'une mise en scène métaphysique
qui tient le langage comme le double ultime qui exprime tous les doubles,
le plus haut simulacre (Deleuze) ce que Bradel nomme Danse de Mort
: épisode cruel du conte. Expier, expier, toujours expier. Cette
expiation est-elle seulement visible ? Elle l'est dans l'espace haptique[4]
visuel, auditif autant que tactile crée par le metteur en scène.
Et en entrant, elle reconnut Blancheneige et d'angoisse et d'effroi,
elle resta clouée sur place et ne put bouger. Mais déjà
on avait fait rougir des mules de fer sur des charbons ardents, on les
apporta avec des tenailles et on les posa devant elle. Alors il lui fallut
mettre ces souliers chauffés à blanc et danser jusqu'à
ce que mort s'ensuive. (Grimm)
(2) Le simulacre de la
plus belle
En quoi cet épisode
est-il un simulacre ? En ce qu'il participe d'une scène cruelle.
Cruelle non pas du point de vue de l'intrigue - cette scène exprime
le déterminisme le plus courant. La marâtre a échoué
à tuer Blancheneige et Blancheneige se marie. Il est logique que
la marâtre soit punie. C'est son destin de criminelle. Cette cruauté
appelle le sang, les représailles du pouvoir ou la vengeance. Cette
scène est cruelle du point de vue unique de la cruauté de
la marâtre. La marâtre cultive sa jalousie à l'égard
de Blancheneige comme la seule valeur qui donne sens à sa beauté.
Elle meurt pour avoir été fidèle à son idéal
qui n'est pas d'être la plus belle mais d'être l'unique.
Le superlatif la plus belle est ici plus important que l'idée
de beauté. Ce qui caractérise la beauté de la méchante
reine comme valeur cruelle, ce n'est pas le fait qu'elle soit belle (comme
est belle Blancheneige) mais qu'elle soit fière et hautaine
c'est à dire qu'elle soit conditionnée par cette valeur.
(3) Le simulacre dela
plus belle
Ce qui fait l'impact d'une
telle scène (la marâtre chausse ses mules de fer et
danse), c'est qu'elle rompt l'intrigue du conte en la redoublant. Par cette
rupture, l'intrigue n'est plus qu'accessoire, trompe-l'oeil, leurre. Cette
scène est un simulacre : Les simulacres ne sont pas perçus
en eux-mêmes, mais seulement leur sommation dans un minimum de temps
sensible (image).5 Les simulacres crées des tensions,
des chocs. Ce que Bradel nomme Danse de Mort clôt, termine,
achève le conte de la façon la plus fulgurante. Ce simulacre
par sa rapidité s'impose comme un fantasme au double sens d'objet
du désir et de présence fantômatique. Ce simulacre
nous fait basculer dans la danse. Nous glissons dans la machination abstraite
de la beauté perçue comme électron libre du conte.
Ucciani[6]
partant du constat d'une bascule entre simulacre et sensation écritSimulacrum
qui renvoie au simulacre proprement dit est employé dans son sens
premier de fantôme (vu comme une forme particulière de simulacre)
et finalement est décrit comme image. Image de la marâtre
qui danse jusqu'à ce que mort s'ensuive. Pourtant rien n'atteste
de la mort de la marâtre, pas de cadavre de mise à mort, que
le supplice. Dans le temps de la simulation qui est le temps de la danse
et du supplice, le conte se repète. La mort n'arrive pas, la souffrance
présumée du supplice suspend cette mort dans le vide de l'intrigue.
la répétition
La reine :
Petit miroir petit
miroir chéri,
Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle de tout le pays
La reine :
Petit miroir petit
miroir chéri, Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
Le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle ici
Mais Blancheneige
est mille fois plus jolie.
La reine :
Petit miroir petit
miroir chéri,
Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
Le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle ici,
Mais Blancheneige
au-delà des Monts
chez les sept
nains
est encore
mille fois plus jolie
La reine :
Petit miroir petit
miroir chéri,
Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
Le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle ici. Mais Blancheneige
au-delà des Monts
chez les sept
nains
est encore
mille fois plus jolie
La reine :
Petit miroir
petit miroir chéri,
Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
Le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle ici
Mais Blancheneige
au-delà des Monts
chez les sept
nains
est encore
mille fois plus jolie
La reine :
Petit miroir
petit miroir chéri,
Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
Le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle du pays.
La reine :
Petit miroir
petit miroir chéri,
Quelle est
la plus belle de tout le pays ?
Le miroir :
Madame la reine,
vous êtes la plus belle ici,
mais la jeune
reine est mille fois plus jolie.
Ce qui se repète dans
ces sept épisodes du miroir, ce n'est pas l'intrigue du conte qui
créée l'identité des personnages seconds : la mère
de Blancheneige, le chasseur, les nains, prince charmant. Ce qui se répète,
c'est la différence entre la marâtre et Blancheneige. La simulation
finale de la danse, attente de la mort qui ne vient pas nous renvoie à
l'expérience éthique que la marâtre fait de sa cruauté
comme ascèse. Sa jalousie envers Blancheneige ne nourrit pas l'ascèse,
elle atteste seulement de la nature passionnelle de l'ascèse. Ce
qui nourrit l'ascèse, c'est le rapport que la marâtre entretient
avec le miroir. Ce rapport est exclusivement linguistique. Le langage répéte
à l'infini le désir d'être la plus belle . Il
ne donne non pas sens à la beauté mais à l'infini
de la spéculation (speculum = réflexion : 1/se regarder,
se voir 2/penser, s'abstraire. La marâtre se regarde en se demandant
si elle est belle). La beauté de la reine caractérisée
par le superlatif la plus... est hors de toute représentation.
Le miroir ne renvoie aucun reflet, il répond. De même que
l'épisode final est compressé parce qu'il est final (et non
fini), le miroir compresse les limites de l'entretien dans l'échange
linguistique élémentaire qui oppose la marâtre au miroir
(à une question -toujours la même- une réponse). Ce
qui est en jeux ici, c'est de transgresser les limites du langage par l'usage
du superlatif pour trouver une langue capable de dire l'impossible : l'extrême
du sens qui n'est autre que le signe autonomisé dans la parole.
Ce langage répété participe non pas du langage des
mots mais du langage des signes. C'est à la fin, la Danse de
Mort qui est ce signe marginal, irréductible, irréversible.
variations autour de la Danse
de Mort comme signe de cruauté
Est-ce que Blancheneige
le jour de ces noces assiste au spectacle du supplice de sa méchante
marâtre ? Si oui, pourra-t-elle supporter la vue d'une telle
danse ? La danse sera longue. La méchante marâtre est
capable de résister longtemps à la douleur. Héroine
morale (criminelle) devenue héroine physique (la suppliciée),
sa descente vers les enfers s'annoncent longue. La douleur morale qu'elle
endure quotidiennement devant son miroir la prépare à un
tel supplice. A l'instar de Shéhérazade qui ne cesse de conter
pour retarder l'heure de sa mort, elle dansera le plus longtemps possible
pour faire rentrer la métaphysique -de la cruauté-
dans les esprits (Artaud).
Plus la reine se répète
devant son miroir, plus elle fait figure de tragédienne. L'héroïne
du conte est la marâtre non Blancheneige. Elle est le personnage
intraitable, absolu que rien ne détourne de sa condition d'être
la plus... La marâtre n'a pas cette faiblesse d'ordre sentimental
qui caractérise Blancheneige (quand Blancheneige se met à
pleurer pour apitoyer le chasseur). La marâtre n'a pas d'intérêt
comme les nains chercheurs de pierres précieuses qui donnent l'hospitalité
à Blancheneige contre des travaux domestiques. Elle n'a pas de goût
pour les affaires comme le prince charmant qui négocie le cadavre
de Blancheneige aux nains contre tout l'or du monde puis contre son prestige
viril. La marâtre n'est qu'amour-propre, narcissisme primaire, persistance
dans son être de désir.
La marâtre est la
séductrice. Du miroir à la danse finale, les déguisements
utilisés pour tuer Blancheneige et tous les mirages de la séductions
y passent. La marâtre en danseuse est le point extrême de cette
longue suite d'envoûtements. La marâtre s'impose par le monopole
de la danse. Elle relègue Blancheneige à une beauté
d'ayant-droit tout juste bon à égayer le prince charmant.
A l'apparence inorganique
de la marâtre dont le miroir ne renvoie aucun reflet s'oppose la
beauté organique de Blancheneige. La beauté de Blancheneige
est dépendante de l'économie libidinale des mâles.
Elle n'est belle que lorsqu'elle dort (découverte de son corps par
les nains, découverte de son cadavre par le prince charmant). La
description qui en est faite au début du conte : petite fille aussi
blanche que la neige, aussi rouge que le sang aussi noire que l'ébène
relève plus du fétichisme que d'une contemplation esthétique.
Blancheneige n'a que les attributs de la féminité. Au contraire,
la marâtre est la féminité désincarnée.
Elle est décrite chez Grimm comme une belle femme mais fière
et hautaine. La marâtre a le monopole de la beauté inorganique
dont la danse finale donne les signes. Le supplice final n'épargne
pas Blancheneige, il apparaît au contraire comme le dernier coup
porté à la beauté idéale de Blancheneige et
à ses sauveurs. Coup décisif, bien supérieur à
toutes les tentatives d'assassinats manqués. C'est la marâtre
qui a raison de tout.
[1]
14. 1440 - "Le lisse et le strié" in Mille Plateaux
de Deleuze et Guattari
[2]
Le bleu du ciel de Georges Bataille : comment nous attarder à
des livres auxquels, sensiblement, l'auteur n'a pas été contraint
?
[3]
Le principe de cruauté Clément Rosset
[4]
14. 144O - Le lisse et le strié in Mille plateaux
de Deleuze et Guattari
5 Logique du sens
Deleuze
[6]
Sans nom ni rang. Sur Epicure de Louis Ucciani